L’Œil Noir est un JDR qui a roulé sa bosse. Relativement tombé dans l’oubli, il est pourtant le jeu par lequel certains ont débuté il y a bientôt 40 ans.
Le jeu de rôle a trouvé ses racines aux États-Unis, c’était en 1974 avec le D&D de Gary Gygax. Dans la décennie qui a suivi, de nouveaux jeux ont fait leur apparition à travers le monde. L’Europe par exemple a été (et reste) le berceau de nombreux JDR de légende.
Un JDR atypique des années 90 : L’Œil Noir
Ainsi, alors que Donjons & Dragons souffle ses dix bougies, la première édition d’un nouveau jeu arrive sur les rayons des supermarchés. Venu d’Outre Rhin, c’est Das Schwarze Auge ou l’Œil Noir. (Parenthèse avant de continuer, à qui il faut s’adresser pour faire calendrier de rôlistes où 1974 est l’an zéro de la première ère ?)
C’est l’œuvre la plus connue de son auteur Ulrich Kiesow. Malheureusement, bien que succès commercial, seule cette version dépassera les frontières allemandes pour les années à venir. Pour cause ? Même s’il s’ancre dans la médiéval fantasy il peine à se trouver un public tant il sort des standards du genre.
L’Œil Noir, une introduction aux jeux d’aventures dont vous êtes le héro
D’une part, si son monde reprend des standards comme les elfes et les nains ou fait référence à Conan le Barbare, les noms ne convainquent pas forcément. En effet, les noms des lieux dans la langue de Molière ne font pas très sérieux. Voyez l’introduction par vous-même.
« Par-delà la grisaille et les brouillards de l’Océan de l’Ennui et par-delà les crêtes de la Sierra Monotonia, s’étend l’Aventurie, le royaume de l’Œil Noir ». Océan de l’Ennui, Sierra Monotonia, Aventurie,… le jeu clame fièrement sa nature de jeu aux lecteurs.
Il est, dans ce sens, un jeu qui se veut abordable pour l’initiation aux jeux de rôle. Gallimard, responsable de la traduction de ce côté du Rhin, vendait d’ailleurs le jeu dans la lignée des livres dans vous êtes le héro. L’Œil Noir, c’était le « jeu dont vous êtes le héro ». Sa boîte n’avait rien à envier à ce que nous appelons aujourd’hui un kit d’initiation.
À l’achat, vous aviez donc un livre de règles, un livre d’aventures (dont des aventures solos !), un écran de meneur, des fiches personnages, un D20 et trois D6. Les versions PDF des documents de cette V1 sont disponibles en téléchargement sur un site tenu par les fans. Il en est de même pour les extensions qui sont venues après pour étoffer ces règles.
Un jeu simple, trop simple ?
Ces dernières ont peut-être aussi contribué à l’échec des éditions suivantes à être traduites. Même si des jeux se voulant plus simples faisaient déjà leur apparition, la tendance était aux règles complexes. Et L’Œil Noir ne jouait pas dans cette catégorie.
Par exemple, les classes étaient limitées à l’aventurier, le guerrier, le nain, l’elfe et le magicien. Les statistiques étaient le courage, l’adresse, l’intelligence, le charisme et la force physique. Face à une action incertaine, le meneur déterminait la statistique nécessaire et pour déterminer la réussite, il fallait jeter 1D20 et faire moins que la stat du personnage. Un 19 ou 20 était un échec automatique.
C’est un résumé très abrégé du système, qui sera d’ailleurs développé avec les extensions. Le livre des règles II, puis les Règles Avancées – Maîtres d’armes 1 & 2 vont complexifier les choses. Les retours sur legrog suggèrent toutefois qu’elles n’ont pas fait l’unanimité auprès des fans qui appréciaient le jeu pour sa simplicité.
Ce jeu simple dans sa version basique ne cassait certes pas trois pattes à un canard, mais il avait le mérite d’être accessible à tous. Peu de place pour le gros-billisme, le power-playing ou le min-maxing et de bonnes bases pour le RP, mais avec les stéréotypes de son temps. Les nains avares dans les mines, les orks bêtes et brutaux… sont de la partie.
La V5 et le retour de l’Œil Noir
Ces circonstances font que l’Œil Noir disparaît dans le reste de l’Europe sauf en Allemagne après la V1. Les éditions vont se succéder, la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième. C’est ici que Black Book Editions (BBE) rentre en jeu en annonçant dès 2015 une version française de cette dernière payée via financement participatif.
En plus de la version complète du jeu avec le livre de règles, un bestiaire, des accessoires de meneur et des dossiers personnages, BBE a aussi un coffret d’initiation. Il contient l’essentiel pour jouer avec une introduction aux jeux de rôle et un scénario. Les joueurs ont le choix parmi 4 héros pré-tirés.
Un système et un monde plus complets
Du chemin a été parcouru depuis le premier petit jeu d’initiation vers ce nouvel ouvrage. Si le premier livre de règles faisait 77 pages, cette V5 en fait 418 ! Et c’est avec le minimum d’informations sur le monde de l’Aventurie, l’essentiel concerne comment jouer. L’univers est plus développé dans un autre ouvrage, l’Almanach aventurien.
Et le développement du produit ne s’arrête pas là puisqu’il a toujours du nouveau dans la gamme depuis sa reprise. Ainsi, de nouveaux produits comme la Gazette aventurienne ou encore des extensions comme la voie des héros ajoute du nouveau contenu au jeu. Et BBE n’est pas prêt de s’arrêter.
Rien que fin 2023, un projet de financement participatif a rencontré le succès sur Game On Tabletop. L’Œil Noir : Les Royaumes Ennemis adapte l’une des extensions d’origine qui introduit de nouvelles régions Nostria et Andergast, des personnages, des objets et bien plus dans le jeu.
Il contient l’essentiel de ce que les meneurs auront besoin afin de transporter les joueurs dans ces nouvelles contrées. Pour commencer, il apporte les informations historiques et géographiques de ces contrées en guerres. Des composantes essentielles pour les genres d’aventures politiques qui viennent avec cette atmosphère de conflit permanent.
Ce qui est appliqué dès les aventures qui sont incluses dans Les Royaumes Ennemis. Au nombre de trois, elles font la part belle aux tensions qui les entourent ainsi qu’aux conséquences des conflits. D’une quête épique aux implications politiques graves à la construction d’une nouvelle ville, elles montrent que L’Œil Noir a le potentiel pour un large éventail d’histoires.
La complexification des personnages de l’Œil Noir
La création des personnages n’est plus aussi expéditive que dans la première version de L’Œil Noir. C’est un processus en 15 étapes où le joueur est réparti entre des choix d’options et des attributions via un système de points.
Le jeu a adopté le système quasi universel des races, mais dans une mesure moindre en comparaison à ses contemporains. Les humains, les elfes, les demi-elfes et les nains constituent la liste de choix et déterminent les attributs physiques.
À chacune correspond une liste de cultures possibles, celle-ci comprend des éléments comme sa langue, ses spécialités… C’est le bagage que le héros a acquis dans sa société et son éducation. Les biais de cette société influencent les choix de professions et d’aptitudes. Par exemple, il est un peu incohérent qu’un membre d’un peuple insulaire ne sache pas nager.
Les professions font office de classes (comme dans le JDR de The Witcher). Elles se divisent en trois groupes : les professions profanes, les professions magiques et celles cléricales. En plus des capacités, le jeu recommande aussi des avantages et des désavantages possibles et plausibles à chaque profession.
Les avantages et les désavantages sont un moyen par lequel l’Œil Noir apporte de la profondeur et de la variété aux personnages. Un avantage vient apporter une compétence spécifique au personnage en échange de points. Ceci va d’un bonus de +1 à un jet à la capacité à lancer des sorts. À l’inverse, les désavantages rapportent des points en échange d’un handicap allant jusqu’au mutisme ou la surdité.
Un système de jet cohérent
Après quoi il reste encore à remplir les capacités et l’équipement du héros. Pour aussi complet qu’il soit, ce processus de création promet d’être chronophage. Le système de jets conserve en partie la simplicité de la V1, un D20 contre l’attribut du héros. Les jets pour attaquer et se défendre respectent ce système.
Cependant, les compétences dépendent non plus d’un jet, mais de trois, pour trois attributs. Pour illustrer, lors d’une épreuve de compétence d’escalade, un personnage fait trois jets d’attributs : un de courage, un d’agilité et un de force. S’il ne réussit pas, il dépense des points de compétences pour réussir et le reste des points détermine la qualité de sa réussite.
Le jeu possède aussi une liste de règles optionnelles. Elles peuvent être utilisées pour complexifier et rendre le jeu plus réaliste. Justement, malgré le nom toujours bon enfant d’« Aventurie », les illustrations et les règles rapprochent plutôt l’Œil Noir dans la catégorie des mondes de low fantasy : Conan, Hawkmoon…. Une cour des grands pour un grand JDR.