En un peu plus d’une décennie, le financement participatif a été un facteur majeur dans la réalisation de nombreux projets et dans une large mesure, il a aussi contribué à la renaissance du JDR.
Le financement participatif ou crowdfunding est une méthode de financement qui ne passe pas par les institutions traditionnelles. À la place, il rassemble de petites sommes sur une plateforme en ligne, ce qui en fait une alternative de choix pour les projets passionnés comme le cas des JDR.
Pourquoi le financement participatif pour les JDR ?
Pour comprendre l’intérêt du financement participatif, il faut déjà s’intéresser à la création des JDR qui est une tâche longue et fastidieuse. Prenons par exemple la première édition de Donjons & Dragons. Avant de la proposer à un éditeur, Gary Gygax y a passé des heures réparties sur plusieurs années alors que le jeu était relativement simple et le livret mince.
Un travail de fourmi
Des pavés comme certains JDR modernes impliquent une grande quantité de travail. Surtout qu’avant que le jeu n’arrive entre les mains des rôlistes, il passe par la chaîne du livre. Il s’agit d’une succession d’acteurs qui vont de l’auteur au marchand ayant chacun leur rôle à jouer.
C’était donc un défi logistique et un pari financier auquel quiconque se lançait dans l’industrie du JDR faisait face avant le financement participatif. La disparition ou le rachat de certaines vieilles légendes comme White Wolf Publishing ou TSR en sont la preuve : c’est un très gros risque à prendre.
Professionnel ou amateur ?
L’éditeur doit, en effet, assurer de sa poche le paiement de la production d’un produit coûteux sans avoir une idée claire d’un possible retour sur investissement. Il doit non seulement rémunérer l’auteur, mais aussi les illustrateurs, les imprimeurs, faire de la publicité, et j’en passe. Le bénéfice doit passer par de grands chiffres de vente.
En conséquence, les éditeurs font très attention aux offres qu’on leur propose. Et c’est ainsi que même les projets les plus ambitieux peuvent être refusés par les professionnels par crainte de la faillite. Ce n’est pas unique au JDR : Les Beatles, qu’on ne présente plus, ont d’abord été rejetés à une audition.
Alternativement, les créateurs peuvent choisir de payer de leur propre poche : c’est la publication amateur. Elle permet aux auteurs de JDR d’avoir le contrôle, mais les moyens sont limités en comparaison au professionnel ou au financement participatif. C’est parfois le tremplin qu’il faut pour trouver un public et un éditeur prêts à s’engager dans l’aventure.
Le principe simple et rentable du financement participatif pour un JDR
Le financement participatif pour le JDR est un peu le meilleur et le pire de ces deux mondes. Il permet de court-circuiter les éditeurs qui ne veulent pas se mouiller avec un projet et pourtant, permet de lever des sommes parfois astronomiques ! On parle ici de centaines de milliers d’euros, voire de millions !
Par quel miracle ? Aucun, c’est tout simplement que l’union fait la force. Le financement participatif repose totalement sur le fait que la mondialisation et surtout Internet permettent de toucher un maximum de monde. Si 100 000 internautes donnent chacun 1 euro, c’est déjà beaucoup, mais c’est aussi plus subtil que ça.
Pour rendre le tout plus attrayant encore, les crowdfundings ne demandent pas seulement un peu d’argent, mais proposent un double système de paliers. Cette combinaison permet à la fois d’inciter les gens à donner le maximum, mais aussi à inciter un maximum de gens à donner.
D’une part, on incite chacun à donner plus en précisant que ceux qui donnent une certaine somme recevront quelque chose en plus. Ceci peut aller de la simple mention sur la boîte de jeu à des objets collector de grande valeur.
D’autre part, on motive un maximum de personnes en précisant qu’en fonction de la somme totale récoltée, de nouveaux éléments sont ajoutés au projet en cours. Par exemple, si le palier minimum est atteint, on publie juste le livre tandis que le palier maximum vient avec une carte murale.
Une corne d’abondance…
Grâce à cette méthode, tout le monde est gagnant dans cette affaire. Les éditeurs ne risquent pas leur chemise, les auteurs peuvent s’y donner à cœur joie et les fans savent à quoi s’attendre.
En fait, une communauté se forme même déjà autour du jeu alors qu’il n’est pas encore sorti, voire, elle peut contribuer à fignoler celui-ci. Le bouche-à-oreille va aussi faire son petit effet et gonfler le nombre des contributeurs.
Cette stratégie a permis, permets et continue de permettre à des créateurs de se lancer dans leurs projets personnels une fois qu’ils se sont construit une fanbase. Un phénomène de plus en plus visible dans la sphère des YouTuber rôlistes. En effet, certains parviennent jusqu’à dépasser des records en rassemblant des centaines de fois leurs objectifs initiaux comme avec Ryoko’s Guide to the Yokai Realms.
Et c’est d’autant plus que vrai que le financement participatif donne aussi beaucoup de liberté aux créateurs de JDR. Sandy Petersen a pu créer sa propre entreprise, Larry Elmore édite des recueils de ses décennies dans le milieu de l’illustration, des projets aussi farfelus que Silver’s Monster Girl Manual de Blaine Simple trouvent un public.
Et même plus, on peut espérer augmenter l’échelle du JDR grâce au financement participatif. D’un seul livre, le livret de base, l’auteur peut espérer trouver une source de financement et d’attention pérenne pour les extensions, les goodies, etc. pour les années à venir. La gamme entière de Lex Arcana, par exemple, que l’on salue pour sa complexité. La qualité du jeu s’en voit grandement améliorée.
… avec ses risques…
Pourtant, tout n’est pas rose dans le monde du financement participatif et que ce soit les JDR voire les œuvres caritatives peuvent cacher un plus sombre dessein. Les personnes qui s’y lancent ne le font pas nécessairement pour « les beaux yeux » des fans.
En effet, si pour la majorité, cette démarche aboutit au bout d’un temps d’attente plus ou moins long à la livraison du produit tant attendu, ce n’est pas toujours le cas. On parle d’un vaporware dans le langage du JV : un produit dont la date de sortie est sans cesse repoussée à une date ultérieure.
Il n’existe pas de recours judiciaire face à la fraude au crowdfunding puisqu’il n’est pas un contrat. Ainsi, les livraisons peuvent impunément prendre du retard sur ce qui a été promis à ceux qui ont participé… s’il y a livraison. Dans le passé pas si éloigné de 2020, la pandémie de la COVID a causé pas mal de soucis dans le genre. Le JDR GODS a ainsi accusé un retard de plusieurs années sur ses plans de départ.
C’est en effet la pire chose qui puisse arriver : que le responsable du financement participatif récupère l’argent et disparaisse avec. Lassitude ? Perte d’intérêt ? Obstacle insurmontable ? Des péripéties imprévues peuvent certes arriver, mais il existe aussi l’arnaque pure et dure.
Ainsi, certains allouent la somme collectée dans un autre projet. Si celui-ci ne s’avère pas rentable, c’est l’argent du premier financement participatif qui est perdu, ainsi que l’espoir pour ceux qui ont donné de leur poche de recevoir quoi que ce soit.
… et ses limites
Un autre problème que soulève le financement participatif dans le domaine des JDR, c’est qu’il est peut-être victime de son succès. Pour peu, on se rapprocherait d’une situation pas si différente du krach des jeux vidéo de 1983. Il y a trop de sorties qui inondent le marché et les échecs attisent la méfiance des consommateurs.
Les jeux se multiplient, les acteurs se multiplient, les projets se multiplient… avec plus ou moins de compétences. Le prix n’étant, d’ailleurs, pas trop élevé par rapport aux bénéfices, les rôlistes souscrivent à ces projets et se retrouvent avec plus de jeux qu’ils ne peuvent réellement tester. On ne peut toutefois pas leur retirer qu’ils sont une opportunité afin de se construire aisément une ludothèque.
À force, le marché finira peut-être par saturer. D’autant plus qu’on est dans un âge d’or du hobby donc dans une phase de hausse du nombre des joueurs, mais qu’arrivera-t-il quand cela passera ?
Nous ne pouvons pas non plus négliger une dimension éthique. Le financement participatif était pensé pour être un moyen pour l’individu lambda de rassembler les fonds pour son projet passionné. Or, certains éditeurs ont en fait un business plan avec de gros bénéfices à la clé.
Ainsi, ils ont le beurre, l’argent du beurre sans en fait prendre de grands risques. C’est compréhensible finalement pour les projets obscurs, mais quand on fait du financement participatif pour de grands noms qui se vendent bien… C’est comme si Disney faisait du financement participatif pour son prochain blockbuster.
Alors que retenir du financement participatif dans le domaine du JDR ? C’est indéniablement une poule aux œufs d’or, éditeurs, auteurs, rôlistes ont tous à gagner dans cette symbiose. Cependant, ce n’est pas un élixir miracle et des failles commencent à apparaître.